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Comme je le disais récemment à « un ami proche » : le sexe, c’est le sel de la vie. Je dirais même que c’est l’ingrédient de conservation de l’espèce humaine. Chacun son truc et sa culture, mais c’est l’une des rares choses au monde qui soit à la fois agréable et indispensable.
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On vient du sexe. On vit pour le sexe. On perdure avec le sexe.
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Alors, certes, il n’est pas évident d’avoir ce qu’on veut. Mais comme je l’évoque souvent dans mes articles et je le rappelle en guise de réconfort à des amis célibataires, le sexe n’est pas dans le couple : il est d’abord en soi. On a un sexe, même si on n’a pas de pratique sexuelle.
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Je pense que cette équation qui vous paraît évidente, m’a permis de ne pas tomber dans une recherche excessive, débridée et incohérente de mon sexe féminin. Le jour où j’ai acquis cela, certes, ma vie sexuelle n’a pas explosé du jour au lendemain, mais j’ai compris que je n’avais pas besoin de faire tout et n’importe quoi, encore moins de me soumettre à la moindre exigence du premier venu pour commencer à exister en tant que femme…
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Ça a commencé un soir de Saint-Valentin. J’étais étudiante, recluse dans mon 19 m², avec un verre de punch bon marché qui me tournait la tête. L’assistante de vie dormait depuis le début de son service dans le couloir d’à côté, c’est-à -dire à environ 40 cm de moi (et j’exagère à peine). C’était la première Saint-Valentin que je passais en mode « indépendante », c’est-à -dire en dehors de chez mes parents, avec un semblant d’intimité. Mais contrairement à ce dont j’avais rêvé pendant des années, ça n’avait rien de différent. C’était peut-être même pire car pour le coup, je me sentais vraiment seule.
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Et puis, merde ! Quitte à ce qu’il ne se passe rien, autant faire un truc interdit… spécial… un peu vicieux.
En cinq minutes, une description pourrie, une photo timide ne laissant voir qu’une moitié de mon physique, j’étais inscrite sur un site de rencontre.
Ce n’était pas la première fois que j’essayais, mais cette fois-ci, je le faisais comme une distraction, juste pour la soirée.
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Je fus surprise d’abord de recevoir autant de messages en si peu de temps. Mon cœur de 21 ans prenait cela pour un réel intérêt et une preuve de mon potentiel désirable… Il faut dire que ce soir-là particulièrement, sans que j’arrive toujours à en comprendre la logique, les inscrits étaient nombreux, sur tous les fronts et intéressés par tout ce qui passait. Pourvu que ça leur donne l’impression d’être « heureux » et satisfait.
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Ce soir-là , aucune de mes conversations n’a duré plus de cinq minutes. Les obscénités, je savais que ça existait, mais je n’étais pas prête à ça. Non, vraiment, ça ne me disait rien… Il y en a eu de toutes sortes et j’aurais pu prendre ça pour une erreur de parcours, un événement indésirable, une mauvaise rencontre, s’il n’y avait pas eu de similitudes exactes dans toutes les répliques. Et si ça ne s’était pas reproduit pratiquement chaque fois que je suis retournée sur les sites de rencontre depuis. Vraiment, les originaux se faisaient rares déjà à cette époque !
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Mais dans ce défilé de cochonneries en tous genres, sans surprise et sans relief, une m’a frappée. Non pas parce qu’elle était plus osée que les autres, mais parce qu’elle m’a touchée dans ma dignité. Parce que c’était bien plus qu’une phrase déplacée, c’était un jugement qui me condamnait à être la pauvre fille en détresse venant chercher du secours un soir de Saint-Valentin…
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« Allez, je t’offre ton premier fantasme. On devrait tous aider un handicapé. »
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Pour sauver le peu d’honneur de l’auteur de cette subtile phase d’approche, j’ai pris l’initiative généreuse d’intégrer la notion d’orthographe dans cette phrase. Je ne tiens pas à ce que mes lecteurs soient pris d’une conjonctivite… !
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Ça m’a blessée. Interloquée. Stupéfaite. Je crois que j’ai ri, avant de me taire, puis de me déconnecter.
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Bien entendu, il n’y avait pas besoin d’aller chercher plus loin pour savoir que cette maxime venait d’un idiot fini, ce qui la dépossédait de toute valeur. Je n’aurais même pas dû m’y attarder… Mais la violence de l’image était trop forte. Je me sentais comme une mendiante. Comme intimement enchaînée à un rapport de charité. Cet abruti, à des milliers de kilomètres, qui n’avait manifestement pas assez de cervelle et d’humanité pour comprendre le mécanisme d’une conversation, venu de nulle part, puis éjecté de la même façon, venait de m’humilier, de m’insulter dans mon ego sexuel, féminin, humain.
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« Offrir »
« Aider »
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Comment ça ? Alors là aussi je devais me résoudre à être une cause désespérée, « un cas social et nécessiteux » ! Certainement pas. D’ailleurs, j’ai tout balancé en me demandant soudain ce que je faisais sur un site réservé à des pauvres débiles errants et sans poils !
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Il n’était pas question de handicap, d’abord. J’étais venue en tant que femme, voir même en tant qu’inconnue sexuée, avec rien d’autre que ma curiosité et ma libido. Mon handicap était visible, sur la photo, je ne voyais pas l’intérêt de le cacher. Mais je ne demandais pas non plus à en faire un sujet. Surtout pas de cette façon.
Et je demandais encore moins à être aidée… ! Pauvre gars… Avait-il juste la capacité intellectuelle suffisante pour ne serait-ce qu’imaginer mon état d’esprit et ma vie à cette époque ?
J’étais en pleine démarche d’indépendance, je construisais mon avenir professionnel dans l’audiovisuel, je découvrais pleins de choses sur les relations et la sexualité. Je commençais tout juste à subvenir à mes propres besoins, à faire des projets et à les mettre en œuvre, et ça avait l’air de plutôt bien marcher. En quoi aurais-je eu besoin d’aide ? Je voulais juste être une femme et tenter de faire ce qu’il y a de meilleur dans la séduction : conquérir.
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Mais même ça, il ne savait probablement pas ce que c’était.
Femme. Conquérir. Connaît pas.
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Il m’a fallu quelques années et quelques abrutis de plus pour me rendre compte que cette phrase était bien plus qu’une atteinte personnelle dont je me suis vite remise : c’était une triste illustration d’une catégorie importante d’individus que l’on croise sur la toile.
Je parle en tout cas de ceux qui s’adressent à moi.
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En général, je n’aime pas trop catégoriser les gens. Mais pour le coup, ces messieurs semblent bien se moquer qu’on les reconnaisse pour ce qu’ils sont ou pas, alors je ne vais pas me gêner !
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Il y a deux catégories d’individus :
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Le superhéros du sexe
Il vole au secours des femmes assises sur le banc de touche, désespérément seules depuis des lustres, avec sa cape en latex et son gros glaive. Son devoir, il le fait par instinct, par charité et amour de la patrie ! Quoi d’autre ? Bien sûr, il ne fait que passer car il a bien trop de clientèle à satisfaire. Mais ne vous avisez pas de faire la fine bouche car si ce n’est pas lui qui sauve votre vie sexuelle, qui le fera voyons ? ! Il est déjà bien gentil de vous filer un coup de main (pour rester polie)…
Attention, l’offre n’est valable qu’un très court instant. Alors sachez vous décider très vite entre votre amour-propre ou le soi-disant amour de Superman !… Et si vous refusez, ne venez pas vous plaindre quand vous serez une vieille fille.
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Le courageux mais pas téméraire
Lui, c’est un poète, descendant direct de Corneille (le dramaturge, pas le chanteur). Il englobe toutes ses phrases d’une dose de mystère suffisant pour nous faire croire qu’il est torturé, mais de bonne volonté. Ah, si seulement il avait le petit plus, si seulement la vie vous avait réunis au bon moment, si seulement les choses étaient plus simples, et si, et si… ! Mais dommage pour vous : vous êtes un cas bien trop complexe. Si seulement vous étiez plus normale… ou facile… il vous aurait épousée sur-le-champ, vous auriez eu droit à la grande vie, aux voyages, aux surprises, aux paillettes, peut-être même au sexe, tiens. Mais ce n’est pas le cas. Comme la vie est injuste… Adieu, monde cruel !
Oh, et puis, qu’est-ce qu’une bagatelle, un truc aussi futile que le sexe, peut bien valoir pour vous ? Une femme handicapée a bien trop de soucis existentiels pour avoir des envies…
Ne pleurez pas trop : vous venez juste de rater l’homme parfait. Avec un peu de chance, un homme beaucoup moins bien, mais charitable, vous tendra la main. Tiens, ce n’est pas Superman que je vois passer au loin ?…
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…
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Bien sûr, les vraies personnalités sont un peu plus complètes et diverses. Mais pour se faire un véritable avis sur les gens, il faut les connaître. Et quand ça démarre aussi mal, qui plus est, dans le monde virtuel, on n’a pas le temps de chercher plus loin.
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Toujours est-il que ce genre de réactions a eu des effets néfastes sur la confiance que j’essayais d’avoir en moi et ma sexualité. J’avais toujours l’impression d’être trop, ou pas assez. Finalement, d’être toujours le problème et de ne convenir à personne. Vu de loin, surtout en me référant au peu de ressources que j’avais, à savoir les sites de rencontre, les réseaux sociaux et les discours préconçus de celles qui pensent détenir tout le savoir sur le sexe et les relations amoureuses (un autre sujet), j'étais une sorte de… hors-série. Une erreur de fabrication. Dans la catégorie des gens qui seraient privés de sexualité pour toujours.
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Dans cette idée, je ne voyais aucun intérêt à la vie. À quoi bon interagir, nouer des relations, prendre soin de moi et faire tout ce que je faisais si je n’avais même pas droit à ce qu’il y avait de plus primaire ?
Et lorsque je reprenais espoir, que je me disais : « Mais non, ce n’est pas possible. Je dois persévérer. », je me retrouvais de nouveau confrontée à des spécimens déboussolés et bien trop sûrs d’eux, derrière leur écran. Alors, je me demandais si je ne devais pas me contenter de ce qui se présentait…
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Par je ne sais quelle force, divine ou intérieure, je me suis épargnée des choix que j’aurais regretté. Parfois, in extremis. Il m’arrivait de parler avec un homme, qu’il me propose rapidement de nous voir. Il n’y avait pas forcément de mauvaise intention, mais c’était trop soudain, trop direct, trop loin de ce qui me faisait envie. La plupart du temps, ces hommes étaient pressés de conclure. Certains n’ont même pas eu de scrupules à me le dire :
« Ma belle, moi, j’ai d’autres occasions. Mais toi, c’est différent… Tu devrais saisir ta chance. »
Je trouvais ça tellement impertinent, prétentieux. En plus, dans 90 % des cas, ils ne me plaisaient même pas physiquement. Mais si c’était le prix à payer pour me sentir femme… Si c’était tout ce à quoi je pouvais prétendre…
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Mais non.
Chaque fois, je suis revenue à moi. J’ai repris le dessus sur mes mauvaises pensées. Ce n’était pas facile de renoncer sans savoir si j’avais raison, sans savoir si je pouvais vraiment avoir mieux ou si je me faisais des illusions.
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Mais non.
Je n’allais tout de même pas me rabaisser et sacrifier la partie la plus cruciale de ma dignité sur les jugements de pauvres gars complètement à côté de la plaque, prêts à tout pour obtenir satisfaction. D’ailleurs, s’ils étaient si pressés, c’est peut-être parce qu’ils ne trouvaient rien de mieux, personne qui les acceptait… À bien y réfléchir, leur cas était sûrement bien plus désespéré que le mien.
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Moi, j’avais encore assez de contrôle, de recul et d’amour-propre pour me respecter. Pour faire la part des choses entre l’irréel et ce que je méritais. Pour construire, non sans douleur ou frustration, la satisfaction que je cherchais. Pour révéler ce que j’étais déjà , sans me mentir ou me rabaisser.
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Certains de ces messieurs étaient juste maladroits, j’ose le croire. À un degré inégalable, certes. Mais croyant tellement fort en leur représentation des femmes, du sexe et peut-être du handicap, qu’ils pensaient sûrement bien faire. Tandis que d’autres ne se posaient pas de questions d’éthique, pourvu qu’ils obtiennent ce qu’ils cherchaient.
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L’ironie du sort, c’est que paradoxalement, le cas complexe que je suis, c’est-à -dire ma « vulnérabilité », m’a aussi retenue de courir dans tous les sens et de sauter sur la première partie de jambes en l’air qui se présente. Je n’ai pas raté que des bonnes expériences…
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Mais le plus important, c’est qu’elle ne m’ait pas privée de nature humaine. Et contrairement à tout le reste, à tout ce que les hommes pouvaient penser, tout ce que moi-même je croyais, je n’avais pas besoin des autres pour avoir une sexualité. Je n’avais pas besoin d’être sauvée ! Je pouvais courir après le plaisir, en multipliant les façons d’accéder à l’épanouissement, mais ce n’était pas aux hommes de me donner quoi que ce soit.
En aucun cas, je ne devais attendre d’eux qu’ils me fassent exister. Même si, en pratique, il y a des moments où c’est vraiment difficile et blessant de ne pas susciter autant de désir qu’on le voudrait. Ce vide intérieur existe et la fusion avec l’autre demeure le seul remède…
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Mais j’avais une vie. J’étais une personne bien plus passionnante et avec bien plus de valeurs que ce que ces petits malins pensaient… Ma sexualité était née en même temps que moi. Rien de nouveau ! Elle était juste à un tournant. Il lui fallait plus d’aventures, de couleurs, de terrains de jeu. Dans ma vie de jeune adulte, je m’affirmais. Et elle aussi. Je rêvais d’un homme attentif, posé et patient. Si possible, quelqu’un qui avait déjà un paquet d’expériences sexuelles, des expériences de vie et des relations, plus généralement. Ainsi, je me disais qu’il serait moins pressant. Je voulais essayer pleins de choses dans le sexe, mais comme toute jeune femme, j’avais aussi quelques peurs… Des peurs que seul un homme épris et respectueux de ma personne aurait pu apaiser.
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Je voulais un échange et de la complicité. Quelques rendez-vous, un baiser volé et une attirance si forte, qu’elle m’aurait obligée à lâcher les armes… Je voulais me faire désirer, me sentir désirée, résister, puis craquer. Je voulais une soirée inoubliable, une rupture, puis des retrouvailles avec la puissance d’une lutte trop longue.
Rien à voir avec les petits arrangements généreux qu’on me proposait…
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J’étais à l’âge où on laisse peu à peu tomber ses rêves de prince charmant, alors je n’imaginais pas que je trouverais l’homme de ma vie du premier coup. Et honnêtement, vu la difficulté que j’éprouvais, ne serait-ce que pour entrer dans un rapport de séduction, je ne me disais pas que j’allais trouver l’amour.
Je ne cherchais qu’à être une femme adulte.
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Il ne s’agissait pas de demander une compensation, comme celle dont j’avais besoin pour me nourrir ou m’habiller dans la vie de tous les jours. Là , on parlait de relations et de vie ! Je n’avais pas besoin qu’on me tende la main, j’avais besoin qu’on me possède et qu’on m’aime… ne serait-ce qu’une nuit.
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Oui, il me fallait quelqu’un d’assez courageux pour braver les peurs, l’inconnu et l’étrangeté de mon handicap. Inutile de se voiler la face : évidemment que rien n’aurait été simple ni facile du premier coup.
Mais était-ce vraiment plus compliqué avec moi qu’avec quelqu’un d’autre ? La difficulté venait-elle du fait que j’étais handicapée, dépendante physiquement, immobile, novice en matière de sexe, ou simplement du fait que je n’étais pas « une fille facile » ?
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Tous ces désirs que je viens de décrire avaient un sens. Peut-être que c’était un peu au-dessus, ou à côté, de la vraie vie, du monde réel et de ce qu’il avait à offrir, mais ça faisait partie de moi. Ce n’était pas rien. Ces messieurs n’ont simplement pas voulu se prendre la tête à essayer de composer avec. Ils ont pris ma sexualité pour un animal affamé qu’il suffisait de rassasier. Ils voulaient la facilité. Dans le plus pur des égoïsmes, ils voulaient jouer uniquement selon leurs règles et en me voyant passer, se sont dit que je serais la parfaite idiote pour suivre sans rien opposer ni demander.
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Alors, qui de nous deux est le plus courageux, le plus téméraire, le plus épanoui dans le sexe ? Celui qui pose ses standards, ses règles, ses préjugés, avant de se rendre exactement là où il faut pour pêcher exactement ce qu’il veut, sans surprise, ni bonne, ni mauvaise, répétant le même scénario dès que le besoin se fait sentir ? Ou celle qui s’expose, qui essaie, au clair sur ses principes, mais qui se laisse une marge de découverte, pleinement consciente qu’elle a beaucoup à apprendre et à découvrir ?…
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Je pense que la sexualité évolue avec le temps. Comme c’est le cas pour beaucoup de choses dans la vie. Elle ne cesse jamais de se construire et de se révéler. On peut aimer une chose un jour, puis une autre le lendemain. Et ce n’est pas grave. Pas la peine de s’en justifier. On peut explorer, essayer, changer d’avis, rêver, se tromper et se surprendre, à l’infini. Je pense que même les gens qu’on croit super expérimentés, les spécialistes, les champions de la nymphomanie, ne savent pas ce qu’est le sexe. Il faudrait une dizaine de vies et des millions de partenaires pour cerner la moitié de son profil sexuel.
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En revanche, je suis certaine d’une chose : votre sexualité n’est pas fondée par les autres.
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Que les hommes soient réceptifs ou non, sincères ou non, intéressés ou non, ma sexualité existe. Et ce sera toujours ainsi. Elle est liée au cœur et au cerveau qui nous font vivre. Si l’un s’éteint, les autres aussi. Mais cela se passe en moi. Ce n’est pas un individu externe qui va lui donner la permission d’exister. Il peut avoir beaucoup d’effets sur elle et lui permettre de prendre une toute autre puissance, de passer de 10 % à 200 % en un instant, mais il n’est pas son créateur.
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La femme existe. Son sexe vit. Son désir s’anime seul ou avec quelqu’un. Voilà comment ça se passe.
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Alors si Superman veut sauver le monde, c’est tout à son honneur. Il y a du pain sur la planche ! Mais mes fesses et moi, on va se débrouiller.
Merci quand même.



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