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À en croire Bridget Jones et Carrie Bradshaw, les reines de l'amour, du célibat et du sexe de survie, il arrive un âge où nous acquérons la lourde tâche de répondre à une tonne de questions indiscrètes et rébarbatives.

Au diable vos réussites, fausses joies et derniers achats qui ont surtout eu le mérite de combler une étagère, cette analyse scientifique est uniquement destinée à savoir si vous avez progressé dans votre statut social et si on doit vous asseoir à la table des enfants, celle des adultes ou celle des objets trouvés.

Et évidemment, c'est beaucoup plus simple quand on sait quoi répondre.
Je m'y suis préparée pendant des années. J'ai écrit des histoires à dormir debout, formulé des phrases préconçues laissant entendre la fatale réalité du désert affectif sur une note de joie de vivre, inventé une vie sexuelle détonante qui me laissait à peine le temps de respirer... Bref tout ce qui pouvait conjurer le sort du " Ne t'inquiète pas, ça va venir ! "

Il n'y a rien de pire que quelqu'un qui confond votre résilience avec du découragement... Comme s'il s'évertuait à vous faire sauter d'un avion. L'astuce la plus efficace pour savoir si c'est vraiment dangereux ! " Va donc te casser la gueule dans l'escalier de l'amour. Tu es plus forte que moi et si tu n'en reviens pas, c'est que j'ai bien fait de m'abstenir. "

Cet interrogatoire est une façon de vous envoyer en éclaireur.

Je m'y étais préparée avec fierté et application. Ça y est, j'allais enfin faire mes premiers pas dans le monde des grands et des adultes débauchés. Je n'avais rien à raconter, et je me trouverais souvent dans l'embarras, mais au moins les gens ne feraient plus semblant de m'oublier dans les conversations de famille. Vous savez, ce moment fatidique où l'on demande à tous les jeunes gens " Alors, les amours ? " et que comme par hasard, lorsque vient votre tour, la dinde aux marrons atterrit sur la table.
Tout bien réfléchi, le pire n'est pas d'être submergé de questions, mais de ne pas en recevoir.

Il faut dire que j'ai littéralement fondu en larmes le jour de mes 14 ou 15 ans, lorsque ma tante m'a prise à part pour me demander si, à l'instar de mes cousines de 10 ans, j'avais moi aussi un petit chéri...
Forcément, ça plombe l'ambiance et ça n'encourage pas les initiatives.

D'ailleurs, plus personne, en dehors d'une tante et d'un oncle dotés d'une sensibilité particulière, n'a abordé le sujet depuis lors.
Et je n'ai pas pleuré ! Applaudissements, s'il vous plaît !

L'appréhension a donc cédé une petite place à l'impatience : ok, on pouvait ignorer ma vie affective (pour rester soft) à 10 ans, 15 ans, 20 ans, 25 ans si on n'est vraiment pas téméraire, mais pas à 30 ans tout de même ! Viendra le jour où je pourrai ouvertement parler de ma vie amoureuse pleine de questions et d'originalité.

Mais à la veille de ma trentième année de traversée du désert affectif, j'ai fait un constat bien plus navrant.
On avait enseveli mon inertie amoureuse sous un autre aspect de ma vie qui n'avait rien à voir. Tandis que je faisais front, on avait inventé un stratagème pour déguiser le sujet.

Bizarrement, ça m'a procuré la même sensation qu'à mon entrée en sixième. Étant donné que je ne bénéficiais pas d'une accompagnatrice à temps plein pour suivre l'intégralité des cours, on a préféré mettre sur le papier que mon état de santé en était la cause. Comprenez que c'était plus light que d'accuser un système social et administratif insuffisant...
Puis un groupe de travailleurs sociaux et d'autres soi-disant spécialistes de l'éducation ont sélectionné pour moi les matières prioritaires. Qu'importent mes préférences et mes centres d'intérêt, ils ont décrété sans me consulter que je ne serai probablement pas une scientifique anglophone...
Tromperie.
Abus de confiance.
Détournement.
Déni.

Vingt ans plus tard, d'autres gens me dessinent une vie sociale à leur convenance...

J'ai été comme par magie dispensée de toutes les questions franches et gênantes au profit de deux questions détournées et insistantes.

La première : " Et ton chat, il n'est toujours pas revenu ? "
Rapport à mon chat qui m'a brusquement quittée pour d'autres bras il y a trois ans. Comme ça, un beau matin, en claquant la fenêtre de la cuisine, après le passage du vilain vétérinaire à domicile.
La rupture la plus théâtrale de mon existence qui, apparemment, suscite bien des interrogations sur mon équilibre affectif. Derrière cette phrase en apparence banale, j'entends beaucoup de gravité, comme pour dire : " Ça va, tu tiens le coup ? Tu ne te dis pas que tu as peut-être laissé filer ton unique compagnon ?..."
En un mot : " Comment arriveras-tu à garder un homme si tu n'es pas capable de garder un chat ? "

La deuxième : " Tes nanas, elles vont bien ? "
À première lecture, on croirait que je suis l'heureuse maman d'une flopée de filles ou la gérante d'une maison close. Si seulement...
Or, les " nanas " en question sont mes auxiliaires de vie. Des femmes vaillantes, engagées et dévouées qui méritent toute notre attention. Je les tiens en très haute estime car oui en effet, elles constituent une famille solidaire et indispensable à mon équilibre. Mais ce n'est pas MA famille.
En aucun cas, elles ne se substituent à un entourage proche et elles ne sont pas la famille que j'ai fondée. Je ne parle pas d'elles comme on parle de ses enfants ou de son partenaire.
À la façon dont les gens abordent le sujet, je sens qu'ils ont réfléchi longtemps à la composition de ma petite vie privée, avant de trouver la réponse des auxiliaires de vie comme la plus évidente et la plus appropriée. L'air de dire : " Tu vois, tu n'es pas seule. "

Il vaut mieux désinfecter une plaie sur le coup, plutôt que de la dissimuler et la laisser s'aggraver. C'est pareil pour les vilaines vérités.

J'aurais préféré que certains proches parents et amis chers ne se voilent pas la face. Qu'ils vivent avec moi cette solitude ! Qui sait ? On aurait pu se battre ensemble, travailler main dans la main à la faire reculer. On aurait peut-être pensé à moi lorsqu'un beau parti se serait présenté. On m'aurait accompagnée tout au long de ce parcours chaotique, ce qui a bien plus de valeur qu'un lot de conseils standards...

Qui sait ? Quelqu'un m'aurait avertie que ce serait si difficile...

Mais voyons, je ne peux pas leur en vouloir ! On raconte bien aux bambins que le Père Noël fabrique les jouets dans son atelier féerique pour dissimuler le travail à la chaîne de mineurs payés un euro par mois dans les rouages de la société de consommation.
Alors pourquoi on ne raconterait pas à une jeune femme un peu désespérée que la solitude, ce n'est pas si terrible que ça ?

Sauf que je sais ce que je vis, je sais de quoi je parle. Maintes fois, j'aurais pu faire de même en considérant que tout ce à quoi j'avais droit était des relations de compagnie ou de nécessité. J'aurais pu choisir la facilité en niant la solitude et en demandant aux autres de la combler à peu près, me résigner à livrer mon cœur tout entier à des relations qui ne feraient jamais de moi une femme.
Des relations qui comptent, bien sûr, mais qui ne suffisent pas.

Tant que j'en ai la force, je préfère assumer mon sort avec optimisme que me résoudre avec fatalité.

J'ai beau me plaindre, je tiens à vivre tous les désagréments du célibat. Même les questions désobligeantes, les réflexions maladroites et les regards compatissants...

Je vous en prie : ne me préservez de rien. 

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