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Il y a peu, Angèle chantait : " le spleen n'est plus à la mode ".

Pourtant, je crois que tout le monde a eu son gros chagrin. Une tradition qui perdure. Inonder son oreiller et maigrir de déshydratation en se réduisant à moins que rien, parce que l'être aimé ne nous aime pas...ou plus.

Je dois avouer que, spleen tendance ou dépression passagère, j'ai moi-même trouvé ça branché.
Adolescente renfermée, j'avais hâte de m'enticher suffisamment d'un gars pour lui jouer la grande scène et sortir ce que j'avais dans les tripes.
Une phrase enrobée de miel à la Rose et Jack.
Des messages sanglotant sur son répondeur.
Une déprime hypercalorique à la Bridget Jones.
Que sais-je ?
Il y avait bien mes petites déceptions régulières pour faire office de chagrin d'amour, mais elles n'étaient même pas assez vraies pour faire bien mal. Des histoires traumatisantes de gamins, c'est tout. Pas de quoi briser un cœur.

Finalement, les déceptions de tous les âges et de toutes les saisons se sont mises bout à bout pour me faire souffrir. Comme un verre qui se brise au ralenti, le chagrin est venu à pas de loup.
Et je sais maintenant que ça n'avait rien de cool ni de branché ni de mystique. Je ne suis pas devenue l'héroïne malchanceuse qui pleure des larmes de crocodile sous son meilleur profil, ni la réplique de Juliette qui s'étale avec grâce dans le sépulcre...

J'ai juste eu mal, vachement mal. Je me suis auto-flagellée de chansons soporifiques, de malbouffe et de photos de couples Instagram. Histoire d'être sûre que j'avais bien bien bien mal et comme à mon habitude, de vivre le truc à fond.
Une fois terminé, je me suis regardée dans un miroir. J'ai bêtement constaté que j'étais tombée bien bas et que j'étais devenue une pleurnicharde.

Mais devinez quoi ? J'ai découvert quelque chose.
Le pire n'est pas de pleurer pour un mec.
Le pire, c'est quand on ne pleure plus.
Le vrai drame, c'est d'être aussi ébranlée par une séparation que par un moineau écrasé. Je croyais être une victime des chagrins d'amour à répétition, avant de détecter en moi une certaine inertie.

Ladies, continuez à claquer votre argent de poche dans les mouchoirs, à planifier votre mort théâtrale sur une chanson d'Adèle, continuez à croire que l'on peut mourir d'amour, car la libération est proche !
Bientôt, vous serez capables de vous émouvoir pareillement d'un amant disparu que d'une cafetière en panne ou d'une tâche sur votre tee shirt préféré.

Hasard ou message divin : ma dernière déception amoureuse...ou plutôt, affective...est survenue quelques heures après le refus de ma candidature pour un logement que je voulais à tout prix.
Deux jours plus tard, je cherchais encore un moyen de détraquer le système d'attribution des logements, tandis que les messages d'excuse du malheureux restaient " non lus ".
Question de priorité ? Peut-être.
Question d'habitude ? À tous les coups.

Baby avait 23 ans et moi 28 quand on s'est rencontrés. Ou devrais-je dire : quand on s'est malencontreusement textotés.
J'étais déjà en recherche d'appartement et à force de contacter tout un tas de gens, j'ai composé un faux numéro... Le sien.
Non, je ne suis pas une espèce de psychopathe à l'ancienne qui chasse le mâle dans les pages blanches.

Habituellement, les mauvais destinataires répondent par une petite remontrance...voire pas du tout. Baby m'a captivée par sa politesse :
" Ah, désolé. Il doit y avoir une erreur. Mais je te souhaite bonne chance. Moi aussi je connais la galère des apparts..."

C'était en novembre. Un samedi soir. Je m'ennuyais et j'attendais depuis quelques temps un peu de nouveauté, de distraction. Qui serait assez ingrat pour refuser un peu de compagnie tombée du ciel ?... Tout le monde, en fait. Sauf moi.
L'envie joueuse de tester les limites de cette conversation a joué des coudes contre mon hésitation. Mais j'étais à l'abri du danger. Et ce n'était qu'un jeu. Alors j'ai continué et j'ai lutté contre cette petite voix intérieure, qui ressemble étrangement à celle de ma mère, énumérant toutes les archives de faits divers dans lesquels la victime s'était faite piéger par téléphone.

C'était rythmé. Intéressant. Courtois. Amusant, car chacun de nous prenait un malin plaisir à imaginer l'apparence de l'autre. Et bien sûr, le meilleur était dans les indices subtilement semés ici et là.
Phrase après phrase, on apprenait à se connaître. Je n'étais pas particulièrement pressée de le voir. J'avais peur que ça ternisse la complicité naissante...
Je l'imaginais mat de peau, avec un large sourire et des épaules sculptées, les cheveux en désordre, élégant sans en faire trop. Et puisqu'il me voyait grande, ténébreuse, élancée et juste assez pulpeuse, le pari était loyal.

Je n'ai même pas eu à m'inquiéter du moment fatidique de l'annonce du handicap puisque je l'avais involontairement mentionné dès le début, dans le message concernant le logement.

Ça m'a donné des ailes. Rien de tels qu'un œil bienveillant et une main innocente pour se libérer.
Grâce à lui, j'ai appris à poser des mots sur mes envies, à apprivoiser les effets du langage cru et à me découvrir désirante sans me desservir.

Parce que les relations virtuelles, c'est comme un fast food : ça fait plaisir, c'est tentant et rapide, mais après, on a encore faim.

Or, je ne pouvais pas exiger plus de sa jeunesse. Quel jeune homme de 24 ans est prêt à se jeter corps et âme dans une relation avec une cougar précoce ?
Quand il m'a demandé si notre différence d'âge était un problème, j'ai répondu non.

Dans les faits, ce n'était pas plus contraignant que mon immobilité physique ou les 800km qui nous séparaient. Surtout si c'était juste pour un coup de quelques soirs.

Baby a été le premier à parler de " nous ", de " futur " et de " relation ". Tout ça dans un seul message. C'était la canicule, j'étais coincée par l'heure de pointe sur le périph et tout à coup, il m'a demandé comment je nous voyais dans six mois ou un an. À ce moment précis, je ne voyais pas plus loin que l'heure à laquelle j'allais enfin rentrer chez moi.
J'étais disposée à vivre tout pleins de belles choses avec lui et de voir où ça nous mènerait.

Le " sérieux/pas sérieux ", c'est un concept inventé par l'humain moderne pour pouvoir fauter sans préjudice.
Celui qui vous dit dès le début qu'il ne recherche pas de relation sérieuse se défend déjà d'une connerie imminente. Et un de ces jours, il vous sortira un truc du genre : " Oui, c'est vrai, je t'ai fait du mal, mais je t'avais prévenu que je ne suis pas sérieux. "
Celui qui vous dit d'emblée qu'il veut une relation sérieuse se réserve le droit de vous jeter à tout moment, pour un soi-disant faux pas qu'il aura jugé indigne de son amour. Du style : " Je t'avais dit que je voulais du sérieux avec toi, mais ça ne marchera pas entre nous si tu te comportes comme ça. "

Par crainte de plomber l'ambiance, je n'ai pas exposé ma théorie à Baby... Je me suis juste offerte à lui sans attente ni intention de l'emprisonner.
Il revenait d'un semestre aux États-Unis. Autrement dit, de soirées arrosées, de fraternités et de cheerleaders. Il incarnait la jeunesse que je n'avais pas eu.

J'étais en pleine découverte de mes besoins et sentiments profonds. Je n'imaginais pas plus avec lui que des caresses affamées, des escapades nocturnes et quelques stupéfiants, pourquoi pas.

On ne se parlait pas tout le temps. Il y a eu des silences de plusieurs mois pendant lesquels j'oubliais tout. Mais Baby revenait chaque fois avec une douce parole et la promesse de nous voir très bientôt.

Je souriais bêtement à ses messages. En réunion, dans la voiture, au réveil... Enivrée du jeu malsain de devoir réprimer une puissante montée d'adrénaline au milieu d'une réunion de travail.
Il n'y avait que lui pour me faire sentir ça. Que lui pour me montrer la joie d'être une femme.

J'étais assez insouciante pour souhaiter que ça dure. Assez terre à terre pour savoir que ça ne durerait pas.

Seulement voilà, Baby a beau réaliser le miracle d'être à la fois entreprenant et inoffensif, les piliers de mon lâcher prise, il est aussi capricieux.
Il me veut, oui. Présente, absente, confiante, hardie, timide, entreprenante, désirante, détachée...
Normal. Il croit encore que la perfection existe. Moi aussi je crois qu'elle existe, mais pas en un morceau.

Il arrivait trop tard s'il espérait trouver une tendre et naïve gamine prête à gober ses bobards et à changer d'attitude comme de chemise.

Mon Baby adoré, l'avantage de fréquenter une femme plus âgée que toi, c'est qu'elle a de l'expérience. L'inconvénient, c'est qu'elle n'est plus modulable.

Elle sait où elle va.
Son caractère est déjà forgé.
Fais lui une proposition. Elle dira oui ou non. Pas de peut-être.

J'ai dit oui lorsqu'il m'a demandé de l'attendre pour réaliser toutes nos illusions charnelles.
J'ai dit oui lorsqu'on n'avait que nos sextos pour nous rapprocher, le temps de deux confinements successifs.
J'ai dit oui lorsqu'il m'a proposé de continuer sur une relation " non sérieuse ".

Baby était mon petit bonbon à la menthe des jours de pluie. J'ai réellement consenti à une relation sans attache lorsque j'ai passé une nuit blanche sur mon téléphone, tenue en haleine par ses extravagances. Histoire fictive de nos corps enlacés et nos sens communicants.

Si je devais choisir un petit bonheur dans le champ restreint des possibles, pourquoi pas celui-ci ? Je pouvais mettre en stand by mon besoin de protection, de stabilité, de projets à deux, pour quelques embrassades sincères et une histoire " passionnelle ". C'est lui qui a employé ce terme...

En fait, je pouvais être heureuse pour un bon moment. Avec Baby. Même si ce n'était que des sorties, des mots doux et des jeux érotiques. Le reste, j'en faisais mon affaire. Ce n'était pas nouveau.
Bon timing ou séduction réussie, j'avais soudain envie de prendre une revanche sur mes 15 ans, 20 ans, 25 ans et les cheerleaders.
Droite dans mes talons aiguilles, j'étais d'accord pour faire une trêve dans la recherche du grand amour.
Je ne voulais que les obscénité courtoises et les bras de Baby. Mais pour de vrai. Je n'en étais plus à espérer le miracle, ni à me contenter d'un joli conte pour me consoler.

Seulement voilà, Baby a confondu histoire d'adulte et caprice de gamin. J'aurais dû commencer par la première leçon : quand on prétend être un homme qui impose ses conditions, il faut avoir la carcasse - pour ne pas dire autre chose - d'aller jusqu'au bout.
Et on ne gaspille pas le temps d'une femme qui a autre chose à faire.

Il voulait jouer avec moi comme il jouait à Candy Crush. Un truc puéril, gratuit et facile, pour passer le temps.
Il avait surtout envie de moi quand il était sûr qu'on ne pouvait pas se voir.

Il voulait être certain de tout obtenir de moi à l'instant où il le voudrait, sans s'encombrer de suite ni de préambule.
Peu importe si je l'attendais résolument, le croyant retenu à l'autre bout de la France, tout aussi impatient, alors qu'il était juste à côté, prenant du bon temps avec ses amis et je ne sais qui d'autre...

D'ailleurs, je ne voulais pas le savoir. L'exclusivité n'était même pas au programme. Tout ce que je voulais, c'était du vrai.
Un vrai rendez-vous.
Un vrai baiser.
Une vraie nuit tous les deux.
Une vraie rupture.

" Trois mois sont passés comme six semaines. " s'est-il justifié de ne pas m'avoir contactée alors qu'il venait de passer un été à Paris.
Déçue, je l'ai été. Plus d'une fois. Je pouvais tolérer la maladresse d'un jeune homme, mais certainement pas parfaire son éducation.
Trois mois d'oubli pour lui, c'était trois mois d'énergie dépensée, de questions en suspens, de désirs refoulés, pour moi.
Mais je ne pouvais pas le lui dire. Les galères d'une combattante fatiguée par la vie n'ont rien à faire dans le cœur vierge d'un jouvenceau !

Nous ne nous sommes vus qu'une fois.
Sans fioritures ni spectacle, à part celui d'une chaude journée retombant sur mon jardin. Une bulle de simplicité s'est naturellement créée pour couvrir nos effleurements et notre attirance timide.
C'est sûrement la meilleure partie de notre histoire.

Celle qui m'empêche de pleurer. Car je suis arrivée au stade où je pleure plus volontiers pour du temps perdu, que pour un homme éphémère et remplaçable.

Ce moment, deux heures après deux ans de fréquentation, m'a fait grandir. Mieux que ça : il m'a mise face à moi-même.
J'ai vu que je pouvais être touchée. Je veux dire, touchée comme une femme désirable. Ce qui est bien différent et plus exaltant que tous les autres touchers que j'ai connu. J'ai appris que mes lèvres pouvaient en appeler d'autres. Ce fut notre ultime baiser, mon premier baiser.

Pourquoi pleurer ?
J'ai eu ce qu'il me fallait par-dessus tout : des preuves de mon existence sexuée.
Celle que mon corps meurtri et tire au flanc pouvait avoir une fonction plus intéressante que la survie. Aussi atoniques soient-elles, mes mains ont conservé la forme idéale pour s'imbriquer dans celles d'un homme tendre. Elles me l'ont démontré.
La preuve inattendue qu'une simple et puissante confiance pouvait pallier à un tas d'incapacités et donner à l'autre l'audace de s'aventurer... Sur mes cuisses, mes épaules, mes joues...

Heureusement, je m'étais un peu préparée. Une partie de moi savait qu'il n'y aurait pas de lendemain et que Baby tenterait de me faire croire le contraire.
J'ai profité de ce moment. Séduite par la beauté du geste, attendrie par son auteur. Puis j'ai entamé la descente.

Les jours qui ont suivi notre premier et dernier rendez-vous, j'ai laissé à Baby la possibilité de contempler ce qu'il avait suscité en moi. Et s'il le voulait, d'en jouir davantage.

Mais il n'en a rien fait. Il a dû se dire que j'attendrais encore une éternité, suspendue au-dessus du néant, pour un nouveau baiser...

Alors j'ai pris une décision. Pour mon bien, pour le sien. Et parce que bon...il ne faut pas déconner !

J'ai longuement hésité à rompre. Ce ne fut pas sans regret, de quitter cet homme si charmant, plein de douceur et d'aisance à me serrer dans ses bras. Ni sans déception, de voir disparaître ce qui serait peut-être mon unique chance d'avoir un rapport charnel.

Mais ce fut sans larmes.

Car en le quittant, j'ai appris à Baby le B.A-ba de l'amour...quel qu'il soit.


1) Une femme est difficile à conquérir et lorsqu'elle se donne, c'est tout de suite.
2) Le feu s'éteint si on ne l'attise pas.
3) Quand on a envie d'une femme, on ne lui laisse pas l'occasion de se rendre compte qu'elle peut plaire à d'autres hommes.
4) Avant d'avoir la prétention de se faire désirer, on s'assure que la lady est suffisamment éprise. Brûler les étapes par excès de confiance, c'est l'erreur du débutant.
5) Dans " Sexfriends ", il y a " Sex " et " Friends ". Le plaisir émane de soi et s'épanouit en l'autre. Pour en avoir, il ne suffit pas de se mettre à table et de taper du poing comme un gosse capricieux. Il faut le cultiver.

Ici s'arrête mon rôle de maîtresse d'école. Je suis finalement la plus avancée de nous deux.

Tellement avancée que je refuse de me faire belle pour quelqu'un qui ne vient pas, de me gaspiller pour quelqu'un qui a de faibles ambitions amoureuses, de donner mon précieux à quelqu'un qui regarde ailleurs, d'endurcir mon cœur pour une histoire d'ego mal placé...
Je peux faire énormément de choses par amour, mais en l'occurrence, il n'y a pas une once d'amour.

Pardonne moi Baby. Toi et moi, ça aurait pu être génial. Si tu étais arrivé un peu plus tôt... Pas grand-chose, une quinzaine d'années. Juste avant que j'ai le cÅ“ur brisé, la solitude pour alliée, le temps limité et que les larmes viennent à manquer. 

#babyboy

#dontcry

#warrior

#toolittletoolate

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